Dans sa thèse de doctorat La Bande dessinée et son double, Jean-Christophe Menu avance l’idée de « corpus hors-champ de la bande dessinée » pour décrire « tout un corpus d’œuvres relevant […] indéniablement de son domaine mais qu’elle [la bande dessinée] n’intègre pas dans son Histoire, et donc qu’elle ne reconnaît pas comme partie intégrante de son champ » (2011, 432). Ce colloque a pour ambition de se saisir de cette notion de « corpus horschamp ». Celle-ci est apte à catalyser divers intérêts de recherche et à faire émerger de nouveaux objets d’études jusqu’alors tenus en marge des discours sur la bande dessinée.
À la suite des pistes ouvertes par Jean-Christophe Menu, on peut s’interroger sur des œuvres non-publiées, produites dans une sphère de l’intime et du privé ou transmises par des circulations souterraines. Les « sympathies réciproques » entre art brut et bande dessinée (Dejasse 2020) forment un point d’ancrage pour cette réflexion. Ces « sympathies » font saillir des contextes de production et des profils de créateurs et créatrices en marge des constructions socio-professionnelles habituelles. Elles décrivent aussi des rapports d’affinités avec des productions graphiques qui exhibe le « dessin sans filet », hors des apprentissages, ou par le biais d’un désapprentissage, voire d’une forme de « deskilling » (Roberts 2010). Ces sympathies s’étendent également aux dessins d’enfants, comme ceux que Lynda Barry « sauve de la poubelle » pour composer ses manuels (Barry 2014; 2019). Petits bonhommes, gribouillis, et graffitis forment d’ailleurs autant de figures convoquées par Rodolphe Töpffer dans ses réflexions critiques, dont Thierry Smolderen (2009) a étudié les longues ramifications pour l’histoire de la bande dessinée. Les productions enfantines, les albums gribouillés, les dessins de marge, les fanzines adolescents constituent autant d’appropriations ou de prolongations de lectures de bandes dessinées qui restent largement invisibles car peu accessibles.
En mettant en lumière des créations qui ne sont jamais ou rarement prises en compte dans les études dédiées à la bande dessinée, nous ambitionnons certes d’enrichir le spectre des réalisations qui sont susceptibles d’intégrer ces études. Toutefois, notre espoir est aussi que ces objets nouveaux, inhabituels, méconnus ou laissés pour compte invitent par leurs singularités (esthétiques, réseaux de diffusion, statut de l’auteur) à réévaluer les méthodes d’analyses, les points de vue adoptés, les disciplines convoquées pour étudier la bande dessinée. Livio Belloï et Fabrice Leroy ont par exemple montré à quel point l’œuvre de Pierre La Police constitue un « mauvais objet », sorte d’« anti-bande dessinée » qui « oblige pourtant […] à redoubler d’efforts en matière d’inventivité conceptuelle » (2018, 124). Ce colloque, donc, comme invitation à rassembler autant de « mauvais objets » posant de bonnes questions.
Modalités pratiques
Ce colloque invite à l’analyse de cas particuliers et d’exemples parlant, sans restriction géographique ou temporelle et avec un intérêt pour les perspectives comparatistes et intermédiatiques. Les propositions de communications, d’une longueur de 300 mots maximum, seront à envoyées avant le 25 janvier 2021 aux adresses suivantes : erwin.dejasse@ulb.ac.be
benoit.crucifix@ugent.be